Le réveil des oasis tunisiennes ou comment soutenir l’emploi et la biodiversité

Surgissant au milieu des dunes dorées du Sahara, symboles d’une culture antique, les oasis tunisiennes abritent de nombreux écosystèmes. De tout temps, elles ont été des centres de production agricole et d’échanges, servant de lien avec les régions du pays les plus éloignées et à la traîne. Aujourd’hui, leur survie est menacée.

Oasis en péril
Depuis quelques années et sous l’effet d’une importante dégradation de l’environnement, aggravée par les pressions anthropiques et démographiques, ces havres de fertilité se fragilisent. Un processus qui devrait être amplifié par le changement climatique, à l’origine de la hausse des températures et de la raréfaction des précipitations. Cette diminution des chutes de pluie sur fond de surexploitation de l’eau assèchera les réserves souterraines où les communautés peuvent puiser, entraînant probablement l’abandon des terres et mettant en péril des espèces endémiques constitutives de l’exceptionnel microclimat des oasis. Seuls une gestion durable de la terre et de l’eau et un dialogue participatif à l’échelon local permettront de rétablir et de renforcer la résistance des écosystèmes oasiens.
Grâce à de nouveaux systèmes d’irrigation, les oasis « modernes » se sont développées rapidement. Mais faute de politiques adaptées, les oasis « traditionnelles » sont en perte de vitesse, voire en perdition — une situation qui pourrait avoir de graves conséquences sur la production vivrière. Sans compter que leur disparition accélèrerait également la perte d’une biodiversité unique et de plantes adaptées à des climats extrêmes qui, à côté de nombreux autres usages, rentrent dans la composition de médicaments et de condiments.
Une solution intégrée pour revitaliser les oasis
Depuis quelques années, la Banque mondiale s’efforce avec le gouvernement tunisien d’endiguer la disparition pure et simple des oasis.
Pour Taoufiq Bennouna, spécialiste senior de la gestion des ressources naturelles et chef d’équipe du projet, « les projets de développement concernant les oasis tunisiennes se sont surtout concentrés sur l’utilisation de l’eau. Mais il faut également tenir compte des ressources environnementales et de la biodiversité. On sait bien que les engrais ou une utilisation optimale de l’eau ne suffiront pas et que seule une approche intégrée, transversale et participative, permettra de s’atteler à la dégradation des oasis et à leur réhabilitation. »
Avec un don du Programme pour les forêts (PROFOR), la Banque mondiale a soutenu l’élaboration de la première stratégie nationale pour le développement durable des oasis de Tunisie, approuvée par les autorités en 2014 et qui s’articule autour de cinq grands axes : 1) rétablir les fonctions écologiques et environnementales des écosystèmes oasiens ; 2) rétablir les fonctions économiques et socioéconomiques des écosystèmes oasiens ; 3) rétablir les fonctions socioculturelles et touristiques des écosystèmes oasiens ; 4) améliorer le cadre de vie des communautés oasiennes ; et 5) déployer des mesures d’accompagnement. Un plan d’action dédié a été mis sur pied pour étayer la mise en œuvre de cette stratégie dans le but d’atténuer les difficultés identifiées.
La stratégie intègre également la question du chômage des femmes et des jeunes, particulièrement élevé dans les communautés oasiennes : si le chômage des jeunes tourne autour des 15 % à l’échelon national, il atteint ici pratiquement 30 %. La relance des traditions et des emplois autour des oasis permettra, en plus d’assurer la gestion des ressources naturelles, de rechercher des solutions. On peut ainsi imaginer que, grâce à des pratiques de compostage et de gestion de l’eau optimisées, les rendements agricoles s’amélioreront et entraîneront par exemple une hausse de la production tirée des palmiers-dattiers.
« Nous participons à la définition d’une vision claire pour renforcer la résistance des oasis de Tunisie », explique Taoufiq Bennouna. « La stratégie nationale et son plan d’action sont deux instruments essentiels pour installer une dynamique fructueuse autour de la question. Il s’agit d’aider les institutions tunisiennes et les partenaires au développement à intervenir au sein d’un cadre commun pour promouvoir des activités de soutien aux traditions et aux modes de vie des communautés oasiennes face à la désertification et au changement climatique. »
L’adoption de la stratégie a été concomitante au lancement du Projet sur la gestion durable des écosystèmes oasiens de la Banque mondiale, qui teste une approche participative dans laquelle le citoyen se retrouve au cœur du processus de décision. Le projet comprend des initiatives destinées à être coordonnées et mises en œuvre par les organisations locales de la société civile dans six oasis sélectionnées. Près de 4 000 ménages devraient bénéficier du projet : 400 ménages agricoles dans les oasis littorales de Zarat (gouvernorat de Gabès) ; 500 ménages dans les oasis continentales de Noueil (gouvernorat de Kébili) ; 2 700 familles dans les oasis de montagne d’El Guettar (gouvernorat de Gafsa) ; et 500 ménages dans un groupe de trois oasis de montagne, Tameghza, Chebika et Midès (gouvernorat de Tozeur).
Par ailleurs, une trentaine d’accords pour des microprojets communautaires, en cours, ont été signés à ce jour. Ils concernent le nettoyage des oasis, l’installation de systèmes de compostage pour les déchets organiques et le rajeunissement des plantations de palmiers. Ce symbole de la vie dans le désert est une ressource renouvelable qui, avec d’autres plantes patrimoniales, est devenu vulnérable. Sa réhabilitation rime avec une résistance accrue des oasis. Parmi les priorités mises en avant par les communautés locales, la conception d’un module technologique regroupant des pratiques intelligentes de gestion des ressources naturelles, l’amélioration de l’eau potable, mais aussi une hausse de la production et la promotion de miel et de confiture à base de dattes dans le but de recréer des emplois dans les oasis traditionnelles.
Maintenir les traditions
En mai dernier, la Banque mondiale a soutenu une initiative à l’occasion du festival culturel de Tameghza, qui défend la reconstitution de cérémonies traditionnelles, les courses de chevaux et les chants populaires. Cela a permis aux habitants du cru de gagner un peu d’argent et de faire connaître leurs cultures, leurs traditions culinaires et leurs danses. Grâce à une bonne campagne d’information, plus de 3 000 Tunisiens ont fait le déplacement.
« Si nous pouvons créer davantage d’emplois et diversifier les activités, les habitants des oasis ne seront plus obligés de partir vers les villes », conclut Taoufiq Bennouna.
Perspectives
Le projet a déjà permis de retisser les relations entre communautés et de réinstaller la confiance entre la population locale et l’administration. Près de 50 emplois ont été ainsi créés et 75 nouveaux microprojets sont en attente de financement.
La dynamique ainsi enclenchée vise à endiguer la dégradation rapide des ressources oasiennes. En créant davantage d’emplois locaux, ce projet renforce l’inclusion sociale et économique et aide les femmes à retrouver le chemin du travail. Avec ces six oasis pilotes, le projet ouvre à la fois la voie à des politiques sociales plus étendues pour améliorer les niveaux de vie dans les régions de Tunisie qui sont à la traîne et à la reconstitution des ressources naturelles du désert.

Banque Mondiale