L’enjeu majeur des partenariats public-privé (PPP) dans le secteur de l’eau
Aujourd’hui, le projet de loi sur les PPP est sur la table de discussion parlementaire.
Est-ce que cette nouvelle orientation partenariale pourrait inclure des secteurs vitaux tels que le secteur de l’eau ? Une telle réforme dans la politique de gouvernance de l’eau pourrait-elle répondre aux objectifs actuels et aux défis futurs ?
Depuis l’indépendance, la Tunisie a fait un choix politique déterminant pour le développement socio-économique du pays : garantir l’accès à l’eau potable et à l’assainissement à tous les tunisiens sans discrimination aucune.
A cet égard, la loi n°75-16 du 31 mars 1975 ne permettait pas la réalisation de certains types de contrats par des concessions, notamment la gestion, le contrôle des systèmes de production et de distribution d’eau potable et de traitement des eaux usées. http://initiativeeau.blogspot.com/
La mise en vigueur de la nouvelle loi des PPP, permettra alors d’étendre le champ d’intervention du secteur privé. Le PPP concèdera à l’opérateur privé la gestion de l’infrastructure hydraulique, précédemment monopole de l’Etat.
Un cadre réglementaire arrangé pour procéder dans l’approche partenariale
D’emblée, l’article 61 et 62 de projet de code des eaux qui a été soumis à la consultation publique en juin 2015, http://www.legislation.tn/fr/content/projet-du-code-des-eaux-minist%C3%A8re-de-lagriculture-des-ressources-hydrauliques-et-de-la-p%C3%AAche révèle l’intention du gouvernement à exhorter les PPP.
Tel que cité par le projet de code des eaux dans la section 4 :
« Article 61 : Le partenariat public/privé dans la gestion des ressources et des installations hydrauliques est encouragé dans le cadre des concessions ou toute autre forme de partenariat prévue par les textes législatifs en vigueur ».
« Article 62 : Nonobstant les textes législatifs en vigueur, l’encouragement et les incitations en matière de gestion en partenariat des ressources et installations hydrauliques couvrent les domaines et activités suivants :
* La gestion directe des systèmes d’eau publics en vue d’en augmenter l’efficacité ou d’en réduire les coûts.
* le développement et l’amélioration des technologies utilisées, l’innovation des procédés, des installations ou des équipements qui permettent d’économiser, de recycler et de valoriser l’eau ;
* la valorisation des ressources en eau du sol agricole
* l’utilisation d’eaux usées épurées en vue de valoriser les eaux traitées ;
* le dessalement et l’amélioration de la qualité de l’eau ; »
Article 61 et 62 du projet de code des eaux.
Ainsi, le cadre législatif et les réformes politiques en cours, préparent ostensiblement le terrain pour une stratégie de joint-ventures public-privé.
Quels risques à courir avec les PPP ?
Aujourd’hui, les compétences dans l’administration tunisienne manquent d’expérience dans le processus partenariale.
En revanche, les multinationales privées sont dotées d’experts juridiques et en matière de montage des contrats. Pour cela, l’entreprise publique est dans l’obligation de faire appel aux expertises externes pour monter les premiers projets.
Ainsi, le rapport des forces et des pratiques de domination politique et économique ne seront pas en faveur des institutions publiques.
Thouraya Malleh, enseignante-chercheuse et économiste de l’eau, souligne que si nous concédons la gestion de notre service de l’eau potable à une multinationale, nous risquons de perdre notre souveraineté sur une partie de notre patrimoine. En cas de différend avec l’opérateur privé, le litige sera porté devant un tribunal commercial international. Nous serons alors amenés à payer cher pour reconquérir une souveraineté hypothéquée.
L’experte en économie de l’eau, ajoute : « les pays de l’Europe, de l’Amérique latine, de l’Afrique, et autant de pays dans le monde ont expérimenté cette voie et ont tiré des conclusions. Plusieurs d’entre eux ont renoncé au partenariat pour reprendre une gestion publique de l’eau. Alors pourquoi ne pas franchir cet épisode d’échec probable et passer directement aux nouveaux processus qu’ils suivent actuellement ? Comment se fait-il que notre nouveau projet du code des eaux envisage de s’engager dans un sentier délaissé par les plus avertis ? Quels en seraient les bénéfices ? Pourquoi ne pas plaidoyer plutôt pour un service public plus efficace, efficient et démocratique ? Pourquoi ne pas consolider le service public qui jusque-là a fait ses preuves en réalisant la grande partie du droit d’accès à l’eau potable pour tous les citoyens ? ».
En France, un film documentaire de Leslie Franke et Herdolor Lorenz intitulé « Water makes money » https://vimeo.com/59605440, a été réalisé en 2010, portant sur le monopole du marché de l’eau privatisé par les groupes français Veolia et Suez ; les deux plus importants groupes mondiaux.
Dans ce documentaire, le modèle français a été qualifié « d’arnaque ». Par ailleurs, les français ont tourné le dos à cette approche http://www.cjf.qc.ca/fr/relations/article.php?ida=388 .
Au début de 2011, après une année de la remunicipalisation de l’eau (service publique), les parisiens ont bénéficié d’une baisse de prix de 8%.
Le rapport réalisé par l’observatoire des multinationales social, écologique et politiques http://www.world-psi.org/sites/default/files/documents/research/heretostay-fr.pdf, révèle qu’on est passé de 3 cas de reprise de la gestion publique de l’eau en 2000 à 180 cas en 2014.
L’approche du PPP dans le secteur de l’eau est un « un modèle mondialisé » en cours de régression chez ses émetteurs. Ce ne serait pas la raison pour laquelle on exporte l’approche assez développée des PPP aux pays de l’Afrique et de la région sud-méditerranéenne ?
L’émergence dans ce processus partenariale, dans un secteur assez fragile comme le secteur de l’eau, s’avèrerai un contre sens de l’intérêt général.
Nour el Houda Chaabane