Bizerte pleure son fils, le professeur Chelbi Belkahia
Samedi soir, alors que le match Tunisie-Zambie est en cours, mon téléphone sonne. Au bout du fil, un ami. « En deux mots, me dit-il, Chelbi Belkahia vient de nous quitter ! », – c’est une plaisanterie ? –hélas, non ! ».
La nouvelle m’a laissé littéralement groggy, il m’a fallu de longues minutes avant de réaliser et de reprendre mes esprits. Non point que la mort soit insolite, mais elle est assurément cruelle, poignante, abominable. Chelbi était bien loin de présenter une mine de « candidat au grand voyage ». Une semaine auparavant, nous étions en randonnée, du côté de Sejnane et rien dans son comportement, ni dans ses paroles ne laissait penser qu’il pourrait souffrir de quelque mal que ce soit, ne présageait qu’il nous préparait une surprise aussi douloureuse. Ce fut le Chelbi de tous les jours, de tous les instants : un visage toujours éclairé d’un sourire radieux et communicatif, une faconde intarissable, le mot pour rire et l’anecdote pour dérider et mettre à l’aise.
Sa compagnie était vivement souhaitée et recherchée, car outre son caractère ouvert, il était un érudit distingué qui avait un regard avisé sur les questions publiques en général, bizertines en particulier. Qu’elles soient sociales, sportives, culturelles, personnelles, qu’elles concernent l’intérêt du pays ou de la cité, Chelbi Belkahia était là pour donner l’opinion éclairée d’une personne reconnue pour ses compétences multiples. Bizerte était « sa » cité et rien ne pouvait s’opposer à ce qu’il s’en éloignât plus d’une semaine. Les contraintes familiales et professionnelles avaient certes assigné Chelbi et sa famille à résider à Tunis, mais, les mercredis étaient ses jours bizertins, exclusivement. Nous prenions un bain maure, invariablement, à l’issue duquel, en souvenir de son défunt père et pour perpétuer une tradition paternelle il se faisait un devoir d’aller prendre une citronnade assortie d’un croquant. Au cours de ces moments privilégiés au cours desquels des amis venaient se joindre à nous, Chelbi nous annonçait son programme du jour : visites à presque tous les cousins et cousines, parents et alliés, déjeuner chez l’un ou l’autre. Doté d’un sens profond de la solidarité et de la charité, il avait toujours des médicaments pour les infortunés parmi les citoyens démunis sans distinction. Parfois, pour le « charrier », l’on lui évoquait une question « cabiste », il s’enflammait, s’emportait, s’irritait, se courrouçait, se déchaînait et ses élans passionnés et impétueux se terminaient invariablement par d’énormes éclats de rire. Dans ses veines, circulaient deux sangs, celui de Bizerte et celui du Club athlétique Bizertin (CAB). Pour l’un comme pour l’autre, il nourrissait des projets bien ambitieux qu’il n’arrêtait pas de promouvoir autour de lui et pour lesquels il essayait de rallier des soutiens. La Camarde fut plus prompte. Elle brisa net ses ambitions altruistes.
Chelbi Belkahia n’était pas que ce personnage pittoresque que nous avons choisi de vous présenter en premier. Aux côtés de cet aspect humain, aisément perceptible, évolue une sommité du monde de la médecine et de la pharmacologie. Il avait marqué le monde national et international de son empreinte et avait été élu notamment, de 1993 à 1999, doyen de la faculté de médecine de Tunis dont il a été le principal promoteur, concepteur et réalisateur. Il a été également Directeur du Centre National de Pharmacovigilance. Maître de conférence, il compte aujourd’hui des centaines de collègues et d’étudiants, qui étaient venus en ce triste dimanche de novembre 2015 lui rendre les derniers hommages, au cimetière Bennour de Bizerte, où sa famille a tenu à l’inhumer au carré familial.
Le Tout Bizerte pleure aujourd’hui l’un de ses fils les plus prestigieux, les plus distingués mais surtout le plus populaire, le plus apprécié, le plus estimé et aimé.
A sa famille, à ses amis et collègues, à la ville de Bizerte, à tout le pays s’adressent nos condoléances les plus attristées. La perte est en réalité bien grande pour la patrie, car des Chelbi Belkahia il n’en existe pas des dizaines et il faudra attendre longtemps pour que nos institutions enfantent des gens aussi compétents, aussi militants, aussi soucieux du bien commun et de l’intérêt général.
Chelbi Belkahia, que Dieu t’accueille dans son Infinie miséricorde et qu’il nous accorde le courage de supporter ta cruelle disparition. Repose en paix.
M. Bellakhal